Tiens, sur le blog de Nicolas, une bonne question. Après avoir noté que ses lecteurs sont de gauche, et donc ne voteront pas Sarkozy, et la futilité de convaincre des gens de gauche de voter à gauche (et là ça serait un autre sujet, sur lequel il y aurait à dire, aussi), il s’interroge sur les motivations du type qui votera à droite, lesquelles lui paraissent mystérieuses.
Un petit paragraphe pour évoquer la vie de l’électeur sarkozyste (une vie ordinaire), un autre sur le fait qu’il n’a pas le temps ou pas l’habitude de lire des blogs, une conclusion (cet électeur potentiel n’a pas donc pas eu le temps de comprendre le message, ou bien il est blasé), et la conséquence : il faut informer, faire circuler l’info, et voilà. L’info du moment étant une petit infographie sympatoche récapitulant les malheurs de la France sous Sarko.
Ça ne mange pas de pain de faire circuler l’info, mais au delà de ça, le problème posé est fichtrement intéressant, pourquoi vote-t-on pour tel ou tel homme politique.
Nicolas suppose qu’il y a dans le vote une réflexion, une analyse d’une situation, des faits bruts, voire mieux : des chiffres, et ensuite, en lien avec ça, une décision.
J’en disconviens respectueusement. Cela dit, on s’en fiche (que j’en disconvienne), je ne rédige pas ce post par esprit de contradiction mais plutôt comme un pense bête d’une question qui me revient souvent à l’esprit.
Nous vivons dans un monde où l’on a le choix, et où on explicite tellement les processus de décisions (en entreprise par exemple) que nous sommes formatés à penser que les choix sont rationnels, et s’effectuent après analyse. Foutaises.
En entreprise, par exemple, je connais très très très bien des gens qui ont été 6sigma manager. A une époque, on s’est mis à créer des 6 sigma manager partout, et il n’y a rien de plus rationnel, en apaprence, que le 6 sigma management. 6 sigma allait sauver le monde, l’entreprise, tout ça. 6 sigma c’est super. Tu observes les processus de production de ton entreprise. Tu repères où ça merdoie. ça merdoie en 3 points (par exemple : là, là et là). Tu réunis ton équipe. Avec ton équipe tu te fixes un challenge (faire en sorte que là, là et là, ça ne merdoie plus). Les gars on va améliorer la production, on va limiter voire supprimer les ratés. Wahou les mecs c’est le new challenge. Allez allez allez. On se réunit, on met en place des procédures de remédiation. Ah non, excusez ! la remédiation c’est dans l’Education Nationale. Je confonds tout. Avec 6 sigma, on met en place un DMAIC.Ça veut dire Define, Measure,Analyze, Improve, Control. A chaque étape on fait des powerpoint et une réunion, et on prend des décisions pour l’étape suivante. D’abord on define le probleme, après on le measure, etc. Ensuite, quand c’est fini, on fait un power point de récap et on se réunit avec le 6 sigma black belt manager régional. Après, le 6 sigma black manager régional bidouille un power point récapitulatif de tous les DMAIC locaux, puis, lors d’une réunion avec les autres 6 sigma black belt manager régionaux (occasion de frais d’avions et d’hotels de luxe), ils se montrent fièrement les uns aux autres leurs power point de tous leurs DMAIC locaux. Ils s’autocongratulent de tous ces projets menés à bien. Et pondent un power point récapitulatif global. Puis le big boss 6 sigma rencontre le big boss de la boîte et il lui diffuse le power point ultime, super recap de tous les projets menés dans le monde et le big boss lui dit : “C’est la crise, gars, tu me vires ou me recases tous les 6 sigma manager (black belt ou green belt). Et après, tu te te vires ou te recases toi même”. Alors on vire ou on recase les 6 sigma manager et on se rend compte que tous ces processus ultra rationel de décision, ces power point en cascade pour expliquer, expliciter, rationaliser le truc, c’est de la foutaise et que les choses marchent aussi bien avec un directeur de site compétent qui vérifie rigoureusement que tout fonctionne. Et que le fric (le salaire des 6 sigma et les frais de déplacement pour repérer tous les endroits où la prod merdoie), on aurait pu l’employer à autre chose (augmenter les employés qui produisent, par exemple). Alors qu’il n’y a rien de plus rationnel et analytique que le système 6 sigma.
Mais en plus de tout ce processus, on se sert de cet outil de mesure et d’analyse, pour mettre en place des projets qui correspondent aux idéologies du moment ; l’écologie par exemple ; il faut être green ; alors on met en place des projets green, pour faire des power point sur le sujet et faire exister administrativement le projet ; peu importe que le projet soit irréalisable ou même irréalisé : s’il existe dans l’univers des power point, si on peut quantifier et photographier quelques réalisations, alors tout va bien. A la rigueur, on peut décider de mettre des plantes vertes dans une salle de repos, et présenter ça comme un projet ; rationnalisé et quantifié ; le projet a un coût, une date d’élaboration, de réalisation, il peut se photographier et on peut même peut-être filmer des témoignages de satisfation des employés qui sont heureux d’avoir des plantes vertes dans leur salle de repos (et un tableau statistique de l’augmentation de la satisfaction des employés depuis qu’ils ont des plantes vertes dans la salle de repos). Toutes ces rationalisations, tout ce processus décisionnel devient un folklore entourant toute décision, même de bon sens. Il y a une certaine poésie absurde à produire de la rationnalité inutile, c’est un peu la vengeance de l’humanité, de la vie, face à la froideur apparente de la logique. Au final, ça sera une occasion pour les bigs boss de se réunir à l’autre bout du monde dans un 5 * pour regarder tous ces power point mise en scène dans un gigantesque show scénarisé en picorant dans le buffet.
Mais le management 6 sigma – qui bat de l’aile et a été remplacé par “lean”, je crois, lequel sera remplacé par autre chose – est simplement une preuve de ce désir forcené de rationaliser les activités humaines, alors que si l’homme était rationalisable, depuis le temps quelqu’un l’aurait surement remarqué. J’en parle, parce que cette tendance à la rationalisation me frappe terriblement. J’aime bien les processus en entreprise. Les processus et les procédures, et leur mise en place. Et dans els administrations ! C’est encore mieux. Mais je dévie. Je perds le fil. Reprenons.
En ce qui concerne le choix politique, il y a surement des personnes qui choisissent, à la marge des clivages politiques. Il existe sûrement des centristes hésitants qui ne savent pas s’ils vont tomber côté Sarko ou côté Bayrou, ou bien côté Bayrou ou côté Hollande, ou Duflot. (il faut dire qu’on a maintenant un choix de folie). Il y a surement des gens qui suivent un processus de décision dans leurs choix politiques. Mais les choix politiques pour la majorité d’entre nous sont mus par des processus qui nous échappent totalement et qui tiennnet à notre Weltanschauung (vision du monde), gravée en nous même. Elle peut s’être construite avec notre éducation, ou contre elle, ou à mi chemin.
Prenons juste un concept, celui de l’ordre établi. Pas plus tard qu’il y a trois jours, j’ai eu au téléphone une personne évoquant avec moi sa situation professionnelle. Sa boîte a été rachetée par une entreprise du CAC40 qui souhaite maintenant la revendre.
– Mais à quoi ça a servi ? m’étonné-je.
– A transférer leur dette, fut la réponse. Ils ont acheté notre entreprise qui était saine, maintenant c’est nous qui avons récupéré leur dette et ils nous revendent.
– Mais c’est monstrueux ! m’écriai-je horrifiée.
– Eh oui, me dit mon interlocuteur. Mais que veux-tu, c’est comme ça. Nous, on est obligé de subir. On a pas le choix. Que veux-tu qu’on fasse ?
Que veux-tu qu’on fasse ? Si le mouton qu’on mène à l’abattoir est fataliste, qu’il y aille, à l’abattoir. Je n’ai donc tenu aucun propos invitant à la subversion sociale mon interlocuteur (et j’en ai même éprouvé une secrète satisfaction). Quoiqu’il en soit, il m’a vraiment semblé un instant en être revenue au XVIIIème siècle, avant la Révolution. Mon interlocuteur tenait entre ses mains un chapeau, baissait la tête et écoutait “not’maît'” avec fatalisme : que peut-on devant les puissants ? Ben rien, allez, baisse la tête.
Cette personne vote à droite avec une détermination inaltérable. A part les 35 heures, qu’elle voue tout particulièrement aux gémonies, elle n’a rien de très défini contre les hommes politiques de gauche. Si on la pousse à avoir un avis, elle trouve Mélenchon marrant, Besancenot insupportable (on en a souvent parlé, parce que moi, j’ai toujours adoré ses facilités rhétoriques et sa pugnacité), ignore l’existence de Poutou (elle ne m’a pas cru quand je lui en ai parlé), les centristes inexistants (sauf Bayrou qu’elle regarde avec une curiosité sceptique s’accrocher, et Villepin qui la fait rire, forcément). Et le cas Marine Le Pen : tout à la fois attirée et effrayée – mais pour la raison que je vais donner ensuite, elle ne convient pas au pays. Bref, venons en à Sarkozy. Pour une telle personne, Sarkozy est le seul choix rationnel, il n’est pas besoin d’en parler. Elle peut fort bien reconnaître des initiatives tout à fait charmantes et pertinentes à des maires ou élus locaux socialistes, qu’elle impute, dans la conversation à leurs qualités humaines plus qu’à leurs choix politiques, mais à la tête de la France, seul un homme de droite (pas Sarkozy, un homme de droite, n’importe lequel) peut tenir la route. POINT. D’analyse, point. La dette, le discours délirant sur l’insécurité, elle ne s’en soucie pas, elle fait vaguement attention, ou alors “de toute façon on a peut-être exagéré, non ?” (vous donnez à cette phrase le sens que vous voulez ). Sa perception des choses est antérieure à l’analyse, et si elle analyse, elle tournera sa propre analyse de façon à conforter sa réaction instinctive, épidermique, irrationnelle. La gauche évoque pour elle des idées hasardeuses, des théories fumeuses, des dépenses sociales (alors qu’elle, elle bosse), avant même toute analyse. La gauche ça serait bien si on pouvait, si tout allait bien, si on était riche. La gauche c’est les profs et les cheminots, ils ne se rendent pas compte. On ne peut pas, “surtout en ce moment”, tu as vu ce qui se passe en Grèce, on ne peut pas s’amuser, il faut des gens sérieux. A droite ils sont sérieux, ils ont des boîtes, ils “savent ce que c’est”.
Naturellement, je résume, synthétise et probablement caricature (je n’apprécie pas cette personne, on se tape des réunions familiales, c’est tout) la pensée, si on peut appeler cela penser, de cette personne. Il s’agit plutôt d’un ressenti. Cette personne est mariée à une autre personne, un peu plus revendicatrice, qui pourrait, elle, dans un moment de colère, voter à gauche – ou à l’extrême droite (me semble-t-il). Mais à aucun moment je n’ai eu la sensation que cette personne (ou son conjoint) ne réfléchissait à un choix. Le choix s’imposait de lui même, du plus profond de ses convictions, convictions plus philosophiques que politiques.
En fait, le mot choix ne convient pas. On a plutôt la sensation que quelque chose, une sentiment, une émotion, remonte du plus profond de l’être et incite au vote.
Si je reviens au post de Nicolas, qui se termine par “maintenant, à toi de jouer”, je ne suis pas en désaccord car il existe des personnes, j’en connais, qui réfléchissent et choisissent. Ce sont celles là qu’il faut viser dans une entreprise de persuasion et démonstration.
Mais pour les autres, il n’y a rien à faire, mais le sujet me fascine. Attention, ce genre de personne existe tout aussi bien à gauche. Il y a du gauchiste raisonneur, mais aussi du gauchiste épidermique. Je me souviens de la mère d’une amie, militante, mais pas militante rationnelle : au fond d’elle, l’aspiration à l’égalité et au bonheur pour tous la poussait à distribuer des tracts, un sourire charmant sur les lèvres, sur les marchés, àc ertaines périodes de l’année, qui devaient correspondre aux élections (j’étais jeune et suivais cela de très loin). Cette aspiration à l’égalité et au bonheur inspirait tous ses actes. Elle se torturait pour des gâteaux coupés en part inégales, ou inégalement distribués. “Tu as droit à une deuxième part de gâteau, venait-elle me dire. Tu n’en veux pas ? mais TOUT LE MONDE a eu deux parts. ” Dans sa famille, ils avaient l’habitude de sa façon d’être, et ingéraient docilement les doses prédéterminées de gâteaux ou autres mets, mais ma renonciation à mon droit de manger deux parts de gâteau la tourmentait. Son point de vue était logique, car une injustice allait être commise, quelqu’un aurait donc une part en plus (du fait de ma défection), au détriment de tous les autres. Il fallait donc que la part en trop aille au plus petit, à la plus agée, au malade. Mais il y avait aussi quelque chsoe de terrifiant, car pour être juste, l’ordre devait toujours être parfaitement respecté. Un jour, le père de ma copine avait dit en aparté : “j’adore ses gâteaux, mais je n’aurais jamais plus que ma part”. Car en tant que père, il était amené (contraint), comme elle, à se sacrifier, pour que la part aille au plus vieux, au plus jeune, au plus malade, au plus fragile. La gourmandise du mari ne serait pas satisfaite, car il s’agissait d’un caprice irrationnel, fauteur de déséquilibre. (Evidemment c’est exagéré, il allait à l’occasion farfouiller dans les armoires). Cette dame (charmante) fait le pendant avec cette personne dont j’ai parlé auparavant. Cette passion de l’égalité, exacerbée, me parait tout droit mener à un despotisme égalitaire atroce, sans espace pour les impulsions, facteurs d’injustice, tandis que le fatalisme de l’autre justifie explique monstrueusement les outrances du libéralisme. Mais dans les deux cas, il n’y a pas d’analyse, c’est une sorte de mouvement de l’âme, de la personne toute entière.
Edit : je ne vais pas tout recommencer, pas le temps, mais tout de même.
1. Je n’envisage pas du tout un exemple de personne votant légitimement à droite en 2012, mais ça, c’est de la faute de Sarkozy. Je peux concevoir qu’on vote à droite, SAUF quand il s’agit de lui. Pourtant, à force de le critiquer et d’enrager toute seule à son sujet, j’ai fini par le trovuer sympa (mais pas au point de voter pour lui, restons lucide). Quoiqu’il en soit, mon post est donc biaisé.
2. Je ne sais plus. Je retourne débarasser la table et je modifie après si ça me revient. Ah ça y est. Nom de Dieu. En homme politique de gauche, j’ai zappé Hollande. Ahem. Lapsus. Enfin, il est à gauche de Sarkozy, hein.